Archipel des Solitudes

(commande de Radio-France)

En 1996, François Leclère met en musique sept poèmes issus du recueil de Gilles Gourdon : Archipel des Solitudes, paru aux Éditions de la Différence en 1982. C'est la rencontre avec une écriture puissante autant que délicate, qui laisse l'impression d'une grande symbiose entre le sens des textes, leur traitement musical et la poétique générale que le compositeur a voulu donner à l'œuvre. En touchant au feu, à la parole, aux mythes anciens de l'Égypte et de la Grèce, et au questionnement fondamental auquel « l'incommensurable cécité » de l'être ne saura jamais répondre, cette œuvre  nous parle à chaque instant de l'essence de la vie et de la condition humaine.

L'emploi du mot « Lieder » pour désigner ce cycle fait clairement référence à la tradition germanique. Les différentes pièces explorent les multiples possibilités offertes par le dialogue entre la voix et le piano, instrument traité ici de façon très orchestrale. L'ensemble ne juxtapose pas simplement sept lieder de durées variables mais constitue un cycle d'une grande unité interne. Comme l'a écrit le chanteur Philippe Vogel, le premier interprète de l'œuvre, « la cohérence formelle permet au compositeur d'explorer une poétique inclassable : minérale, âpre, tellurique, sans renier la dimension charnelle, abstraction faite de tout maniérisme, de toute sentimentalité ».

 I – Feu du silex : pièce tellurique évoquant l'origine du monde marquée par le déchaînement des éléments (volcans, orage, règne minéral...), souvenir lointain de la pièce orchestrale De Basalte et d'orichalque, et qui s'achève dans un apaisement lié à la naissance de la Parole.

II – Egypte : évocation des sources mythiques de la Haute-Antiquité, suggérant en filigrane le temps qui passe, le destin et la mort.

III – Dits du corps séparé : opposition fertile entre l'appel sensuel de la beauté et la torpeur de la nuit.

IV – Cela : contemplation angoissée de la beauté de la nature.

V – Sacrifice : parlant de larmes d'argent végétal,  de célébration de noce du dieu déflorant le bois inerte ou du fer qui fouille ses tendons et galvanise le néant, la pièce nous plonge dans une théogonie  emplie de mysticisme.

VI – Perséphone : la pièce la plus longue du cycle trouve son inspiration dans la mythologie grecque. Perséphone (Proserpine chez les Romains) est enlevée par Zeus à sa mère Déméter et mariée de force à son frère Hadès le dieu des morts. Après bien des tractations entre Zeus et l'inconsolable Déméter, elle reste six mois aux Enfers où elle finit par aimer son époux (période hivernale) et six mois sur la terre pour rejoindre sa mère (époque des moissons), ses allers-et-venues étant ainsi pour les Grecs à l'origine du cycle des saisons.

VII - Frayeur : dans l'extrême brièveté d'un souffle expiré, ce dernier lied pose la question universelle de l'incommensurable cécité de l'être.

 

Musique pour alto seul

 La Musique pour alto seul (1997) est une œuvre virtuose, dans tous les sens du terme. Elle exige de l’interprète un investissement énergétique et technique digne des plus grandes œuvres solistes.

Mais cette virtuosité n’est jamais gratuite, elle est la conséquence de l’écriture de François Leclère qui a conservé la même complexité et la même variété de figuration que dans Les Villes invisibles (la même forme sous-tend les deux œuvres). Passer de l’orchestre aux quatre cordes de l’alto seul, sans perdre ni l’énergie ni l’intelligibilité formelle, est à la fois un défi pour le compositeur et l’interprète.

Tout de suite cette Musique frappe par sa temporalité à la fois évidente et complexe. Sa trajectoire spiralée s’ouvre et se referme sur son intervalle « tonique » de seconde majeure. Cet intervalle pôle parcourt l’œuvre entière, on l’entend dans ses figurations les plus variées : parfois isolé dans son essentialité ou obstinément répété jusqu’à la danse, il irrigue le plus souvent un tissu mouvant tramé d’une grande diversité de motifs au sens premier de « moteur ». Le flux de ce discours s’interrompt par deux fois pour laisser place à des « cadences » de caractères très différents.

La première apparait assez tôt dans l’œuvre. Empreinte de sérénité, elle est particulièrement troublante parce que hors histoire, inclassable sur le plan esthétique ; bien plus, elle est aussi hors du temps du  langage musical qui l’entoure : elle égraine en effet, dans une tension progressive, la totalité des harmonies qui gouvernent  l’œuvre.

La seconde cadence se déploie juste avant la toute fin : en pizzicatos virtuoses, elle porte en filigrane le souvenir du baroud d’honneur de la contrebasse dans certaines grandes pièces de jazz.

Cette Musique, à la fois intériorisée et chatoyante, est intimement liée aux sonorités particulières de l’alto, instrument hermaphrodite qui sait être tour à tour sensuel et doux, âpre et incisif. La profondeur et la beauté radicale que nous entendons ici ne sont pas sans rappeler deux œuvres majeures de l’histoire : la lointaine Chaconne de Bach et, plus près de nous, la Sonate pour violon seul de Bartók.

Notturno Selvatico

Traces d’Archipel


Ecrit en 2002 - nouvelle pause dans la composition de De Re Metallica - Notturno Selvatico pour piano synthétise la musique du cycle Archipel des Solitudes : comme dans un kaléidoscope, les éléments éclatés et redisposés donnent naissance à une œuvre à part entière. 

        Ce nouveau cheminement, tel un conte de la Nuit et de la Forêt, part d'une lumière entrevue au tout début pour conduire, après la traversée d'épreuves violentes, à une fin illuminée et sereine. Cette pièce très virtuose allie ainsi les ressources les plus percussives du piano à sa plus grande suavité.

7 visages du temps

        En 2000, interrompant l'écriture de l’œuvre pour grand orchestre De Re Metallica, François Leclère compose les 7 Visages du Temps pour le piano. Il y explore les potentialités d'une même forme musicale en la figurant par sept fois différemment, comme dans un souvenir lointain des anciennes variations. Cette liberté poétique qu'offre la Courbure du Temps  avait déjà été révélée lors de l’écriture des Villes invisibles pour orchestre et de la Musique pour Alto seul à partir de la même forme. Mais c'est la première fois, ici, que la proximité des différentes figurations rend le principe directement intelligible à l'écoute.

 Chaque pièce est caractérisée par l'emploi de registres bien typés, en analogie avec les 7 directions de l'espace : Nord, Sud, Ouest, Est, Zénith, Nadir et Origine. Ainsi, Zénith évolue dans le registre aigu, Nadir dans le grave, Sud dans le médium, Ouest à la fois dans le grave et le médium... La pièce Origine, lieu de naissance des six autres directions, ouvre le cycle en utilisant tout le clavier et fait entendre de nombreux pressentiments des six autres pièces.

© 2011 Rejoyce